Ce livre esquisse la chronique d'une métamorphose. Celle qui, de l'équipée coloniale de 1895 à l'épopée insensée et sanglante de 1914/1918, va graduellement modifier le regard français sur la population malgache. Entre les escarmouches dans les collines de la Grande Ile et le carnage des tranchées dans les plaines de France, ce regard a changé. La défiance des débuts, prolongée par les années de "pacification", s'est peu à peu transformée sous l'effet de l'intégration progressive des soldats malgaches à l'armée du colonisateur et de leur participation à la Grande Guerre. L'auteur entreprend la déambulation mesurée de cette chronique en croisant deux sortes de témoignages : —certains relèvent de l'historiographie militaire : il s'agit des carnets de route tenus par les officiers du corps expéditionnaire ou des comptes rendus adressés au gouvernement français ; — d'autres relèvent de cette historiographie du quotidien — longtemps méconnue mais heureusement redécouverte et en plein renouveau — qui puisent sa matière dans les correspondances ou les journaux personnels. Ces regards croisés, en mettant en évidence les incertitudes, les hésitations, les doutes et les partis pris des hommes, nous invitent à prendre du champ avec les constructions simplificatrices de la mémoire. Ils constituent toutefois le plus bel hommage à ces "hommes qui font l'Histoire mais qui ne savent pas qu'ils la font", parce qu'ils s'attachent simplement à suivre leurs pas. Cette chronique attentive et apaisée qui nous montre que le temps historique est aussi une construction sociale, nous éclaire et nous questionne, par ailleurs, sur les paradoxes des leçons de l'Histoire : d'une part, l'unification de l'île, qui constituait la grande ambition d'Andrianampoinimerina, est, de fait, réalisée par la France et la colonisation, et, d'autre part, c'est le creuset sanglant des tranchées qui, en récusant les différences tribales, a contribué de manière décisive à façonner l'unité identitaire des Malgaches et ouvert ainsi la voie au nationalisme insulaire.

Jacques Razafindranaly est capitaine de Gendarmerie. Ancien sous-lieutenant de Dragons, il a été Instructeur à la Division de Perfectionnement de la Gendarmerie Mobile de St-Altier (24).